Après deux années passées à la tête du pays, Andry Rajoelina, dit TGV, a presque réussi son pari de s’imposer comme le chef de la transition, même si la reconnaissance internationale n’est pas encore à l’ordre du jour. Au fil de cette longue période transitoire, qu’il affirme vouloir clore le 31 décembre, TGV a pris goût au pouvoir. On ne l’entend plus affirmer, comme par le passé, qu’il ne se présentera pas au prochain scrutin présidentiel. En outre, s’il ne veut pas encourir leur courroux, TGV doit donner des gages à ceux parmi ses collaborateurs qui le poussent à ne faire aucune concession à l’opposition et à la communauté internationale. D’où son oscillation politique : un pas en avant, deux pas en arrière.
Camille Vital, le retour. Après avoir réussi à faire entériner par diverses composantes politiques le scénario de sortie de crise qui lui fait la part belle et qui a été concocté par Leonardo Santos Simao, le représentant du médiateur de la SADC, TGV a gardé la main en désignant rapidement son candidat à la primature. Le 15 mars dans l’après-midi, il envoyé à Simao un mémorandum présentant sa préférence pour Camille Vital et détaillant les points forts ainsi que les faiblesses des sept candidats en lice (certains manquent d’expérience à ses yeux ou d’autres, tel Pierrot Rajaonarivelo, sont soupçonnés de vouloir se présenter à la présidentielle). En retour, la SADC n’aurait pas avalisé le choix de Vital, mais sans y opposer pour autant son véto. Malgré cela, les partisans de Vital se sont activés à Antananarivo jusqu’au dernier moment pour verrouiller la décision de TGV, le 16 mars. Ce clan est principalement composé de Norbert Ratsirahonana, du Franco-Malgache Patrick Leloup et du secrétaire général de la présidence, Haja Resampa. Un deuxième cercle, formé des deux Mamy – Ravatomanga, le patron de Sodiat, et Ratovomalala, le ministre des mines -, gravite autour de ce triumvirat, mais en s’intéressant surtout aux contrats économiques. Vital leur convient comme premier ministre car il n’a pas d’ambitions politiques affichées, qu’il est dévoué à TGV et qu’il n’est pas très porté sur les dossiers économiques. Enfin, étant un militaire, Vital protège TGV et ses partisans d’une réaction violente de la grande muette.
Tour de vis contre l’opposition. Le maintien de Vital à la primature illustre donc les limites de la volonté d’ouverture du noyau dur de la présidence malgache. Cette décision a provoqué beaucoup de déception, tant parmi les médiateurs internationaux qu’au sein d’une opinion publique lasse de la situation actuelle et soucieuse de voir le pays retrouver une reconnaissance internationale. Du coup, les positions des uns et des autres se sont durcies, tandis que le placement en garde à vue, au même moment, de l’opposant Mamy Rakotoarivelo, ne faisait rien pour apaiser les esprits. Gendre de la propriétaire du quotidien Midi Madagascar et opposant ayant un franc parlé qui frôle parfois l’arrogance, Rakotoarivelo était à deux doigts de signer la feuille de route de la SADC, la semaine passée. Mais le voilà aujourd’hui mis en examen et emprisonné pour avoir commandité une tentative d’attentat contre TGV début mars. Or l’enquête initiale sur cette affaire menée par la gendarmerie du colonel Charles Ravalomanana s’orientait vers de toutes autres conclusions, jusqu’à ce que la Direction de la sécurité du territoire (DST), dirigée par Charles Nakany, un parent d’Haja Resampa, reprenne le dossier en mains et charge Mamy. Une procédure judiciaire qui a été perçue à Paris avec « une certaine préoccupation ».
Des changements en vue ? Le groupe qui a convaincu TGV de conserver Camille Vital à son poste va maintenant essayer d’obtenir le maintien dans le prochain gouvernement de certains ministres-clés (finances, mines, etc.). Pourtant TGV a déjà pris plusieurs engagements, tel celui de proposer à son directeur de cabinet, Zazah Ramandimbiarison, un poste de super-ministre en charge de l’économie et des finances ou celui de faire entrer des poids lourds au gouvernement, à l’instar de Rajaonarivelo (qui y serait favorable) et de José Vianney (qui s’interroge encore). Un ministre comme Rolland Ranjatoelina (transports), qui s’est beaucoup opposé à TGV, lequel n’aime pas ça du tout, pourrait être écarté, à moins que ses qualités techniques ne le rendent indispensable. De son côté, le ministre de l’aménagement Hajo Andrianaivoravelo pourrait devenir le nouveau directeur de cabinet de TGV. Enfin, ce dernier devrait profiter de ces mouvements ministériels pour envoyer son porte-parole, Annick Rajaona, en stage à l’ENA de Strasbourg.
Conseiller de la société Louis Dreyfus Commodities (LDC), l’avocat français Robert Bourgi s’est rendu à Antananarivo le 9 mars , en compagnie du directeur Moyen-Orient/Afrique de LDC, Guy de Montule. Au cours de cette brève visite d’une journée, les deux hommes ont déjeuné avec le président de la transition, Andry Rajoelina, dit TGV, et avec son conseiller franco-malgache Patrick Leloup. Bourgi a pu ainsi s’entretenir en aparté avec TGV pendant un petit moment, et lui confirmer qu’il avait bien adressé au ministre français de l’intérieur, Claude Guéant, le matin même et à la demande de TGV, la derrière version de la feuille de route mise au point par la SADC. Claude Guéant garde toujours un œil sur l’Afrique, notamment via Bourgi, qui est l’un de ses proches en même temps que l’éminence grise de certains présidents africains. De Montule, Bourgi, Leloup et le businessman Moïse Ismaël, de Delphis Trading et de la société d’importation de riz FirstGrain, se sont ensuite retrouvés le soir à dîner chez l’ambassadeur de France, Jean-Marc Châtaigner. Entre-temps, un conseiller français de TGV, Philippe Leclerc d’Orizon Finance, a appris depuis Paris la présence de Bourgi à Antananarivo et s’en est inquiété. Lui et ses deux co-équipiers ont donc cherché à en savoir plus, ce qui a donné lieu à une scène cocasse : simultanément, lors de leur dîner du 9 mars, Moise Ismaël a reçu un coup de téléphone de Leclerc, tandis que Leloup en recevait un d’Ann-Philippe de La Giraudière et que Bourgi était contacté par Sophie Deniau, la compagne de Leclerc, qui lui demandait dans un SMS ce qu’il faisait à Antananarivo. Le tout sous le regard médusé de Châtaigner !